Les critères d’éligibilité au CIR (Crédit Impôt Recherche) évoluent. En plus des éléments de nouveauté, de créativité et d’incertitude, il faut dorénavant pouvoir justifier du caractère systématique et transférable de l’activité. Qu’entend-on par systématique et transférable ?
Par systématique, on s’attend à ce que l’équipe de recherche soit en mesure de montrer que son activité est structurée, planifiée et qu’une rigoureuse démarche de suivi des résultats est appliquée.
Par transférable, on s’attend à ce que les connaissances créées dans le cadre de l’activité éligible fassent l’objet d’une démarche de capitalisation permettant le partage, le transfert des connaissances et la reproduction des résultats dans les mêmes conditions expérimentales. En clair, les résultats « ne doivent pas être tacites » (c’est-à-dire cantonnés dans l’esprit des chercheurs), d’après le guide 2018 du CIR.
Plus clairement, cela sous-entend que la société déposant une déclaration au CIR a mis en place une méthodologie de gestion des connaissances créées par ses équipes R&D. La documentation scientifique du projet lui-même mais également celle des hypothèses de recherche, de leurs épreuves et expérimentations et enfin de leurs résultats est donc désormais impérative.
Or, face à la pression de la charge de travail, la documentation n’est généralement pas la tâche prioritaire des ingénieurs de recherche car elle peut être laborieuse et nécessite des aptitudes rédactionnelles pour la conceptualisation et la narration structurée, pédagogique de son travail pour en assurer un transfert efficace. Aussi, je vous propose quelques clés pour y parvenir.
Préparez le terrain
Avant de se lancer corps et âme dans la rédaction d’un rapport technique et scientifique, il convient de réfléchir au message, aux objectifs et à ses lecteurs. A qui sera destiné le rapport ? Quel support sera le mieux adapté à ce lectorat ? Sera-t-il nécessaire de consigner différents types de médias (vidéos, photos, son, etc.) ? En fonction des réponses, il faudra envisager une plateforme adaptée permettant le partage et l’accès aux informations utiles.
Formulez l’objectif
Pensez à votre lecteur. Il est toujours plus agréable de se voir rappeler le contexte, les motivations et les objectifs des travaux réalisés. De même que nos contes commencent par le traditionnel « il était une fois », qui cadre bien l’action et les personnages, vous devez planter le décor. Utilisez la méthode de l’entonnoir : parlez du scope général puis arrivez progressivement à votre problématique particulière. Formulez alors les hypothèses que vous avez testées et leurs motivations.
Situez vos travaux
Évoquez les méthodes existantes pour répondre à votre problématique et en quoi elles ne répondent que partiellement à vos attentes. Cela peut être une insuffisance sur le plan technique, sur le plan financier, etc. qui justifie le temps que vous avez passé sur cette activité de R&D. Il s’agit d’un argumentaire défendant le fait qu’il vous a semblé nécessaire de consacrer du temps à la résolution de votre problématique. Cet effort de positionnement par rapport à l’état de l’art peut sembler laborieux mais il sera très bénéfique à votre lecteur qui comprendra mieux pour quelles raisons vous n’avez pas choisi l’utilisation directe de méthodes existantes.
Présentez la démarche expérimentale
Il s’agit maintenant de présenter les conditions de vos expérimentations. Ce sont ces indications qui assureront la reproductibilité de votre travail. Lister les matériels utilisés, les versions de logiciels le cas échéant, les schémas de principe montrant les connexions entre les différentes étapes de votre processus, les méthodes utilisées, tous les paramètres testés. Il s’agit de bien décrire le mode opératoire de sorte qu’un collègue soit en mesure de tout remettre en œuvre, si besoin, voire d’améliorer plus tard ces conditions expérimentales. Mon conseil en général est d’utiliser des phrases courtes, claires, précises. Aller à l’essentiel.
Présentez les résultats
Enfin, présentez vos résultats pour chaque expérimentation. En fonction du message à mettre en évidence, il faudra sélectionner, hiérarchiser les informations à montrer et privilégier une présentation pertinente : courbes, diagramme, histogramme, tableau, utilisation de codes couleur, etc. Encore une fois, pensez à votre lecteur. Souvent, ce qui tombe sous le sens de votre point de vue, du fait de votre expertise, ne le sera pas pour votre collègue aussi compétent et brillant soit-il. Faites donc parler les chiffres en utilisant un mode adéquat.
Discutez les résultats et ouvrir la réflexion
Il s’agit d’apporter une valeur ajoutée aux résultats en argumentant, en expliquant, en interprétant les chiffres ou les observations. Mettez vos résultats en regard avec ceux de l’état de l’art. Rappelez ce que vous avez appris, compris de ces expérimentations. Rappelez-vous que même l’échec est une source d’information : cela évitera à votre collègue de reprendre les mêmes hypothèses. Enfin, pour encourager l’esprit d’innovation, il est conseillé de discuter les perspectives suite aux conclusions tirées de ces expérimentations.
Ces simples conseils ne sont que des bases pour la mise en place d’une démarche de gestion des connaissances créées par les équipes scientifiques, en consignant les travaux de recherche entrepris. Cela requiert des compétences rédactionnelles et analytiques qui s’acquièrent par la pratique. Elle peut paraître fastidieuse et non prioritaire par rapport aux exigences de production de la société, mais le bénéfice à en tirer est bien supérieur à l’effort premier fourni pour sa mise en place. Cela pourra notamment répondre aux nouveaux critères d'éligibilité du CIR, voire alimenter, en partie, le dossier technique de justification des déclarations CIR pour lesquelles la rédaction demande encore une analyse et une exigence d’un autre type. Cela fera peut-être l’objet de prochain billet. A suivre ! Et attendant, je serais ravie de répondre aux questions à ce sujet.