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Management R&D-Innovation et nouveaux défis de la crise sanitaire covid-19

L’an passé, je prenais un café avec un confrère qui me disait être outré de l’inexistence d’un protocole standardisé de gestion de la recherche, partagé par tous (académiques comme industriels). Tout cela lui semblait tellement décousu : la chasse aux subventions sans réelle préparation, le caractère aléatoire des trajectoires de recherche, etc. Sur le coup, j’ai été tellement surprise par la naïveté de la remarque que je n’ai pas trouvé les bons arguments pour défendre les efforts bien réels de management de la R&D, chez les académiques comme dans les entreprises.


1. Recherche et innovation : une même chaîne de plusieurs maillons


Avec le temps, suite à cette conversation, ma réflexion a continué, mes lectures sur le sujet se sont spécifiées, et mon attention (l’angle de vue en tout cas) auprès des équipes scientifiques que j’accompagne s’est modifiée. En réalité, je pourrais citer une pléthore de travaux de recherche sur les modèles de recherche (Harvey & Loiselle) !


Peut-on bien manager la recherche et l’innovation ? Impossible, répondront les sceptiques, mais indispensable, c’est certain : il faut, au minimum, pouvoir manager les investissements, considérables en R&D, car la réussite est décisive pour le succès de la mise sur le marché d’un produit/service subséquent.


Le développement des activités de recherche est indispensable pour le développement économique, social et culturel de nos sociétés. Le rêve des férus de gestion, ce serait de mesurer, contrôler, préparer, anticiper au millimètre près les retombées attendues. Mais cela ne serait plus de la recherche : on peut programmer des investissements en recherche mais pas les découvertes. Par ailleurs, même faire des découvertes, créer de nouvelles connaissances, ne suffit pas. Il faut des innovateurs pour mettre en œuvre les résultats de la recherche dans les procédés, les techniques, les services et les produits. Et en réalité, il se peut que la recherche et l’innovation couvre une même chaîne avec plusieurs maillons qu’il faut gérer dans son ensemble. Peut-être un seul système d’organes interconnectés (recherche fondamentale, recherche appliquée, développement expérimental, innovation) ?


2. L’humain au cœur du processus


Tout serait-il une question de dosage entre les efforts sur les objectifs court terme et les objectif long terme ? Quelle stratégie adopter, comment l’adopter ? Existe-il un mode de management généralisable et applicable à toutes les organisations et secteurs d’activités ? J’en doute sérieusement, précisément parce qu’une part importante à l’origine des résultats de la recherche est l’humain. Une chose est sûre : la recherche est faite d’incertitudes et de risques. Jouer la carte de la réflexion qualitative pour développer une vraie stratégie sur le long terme me semble évident. Avoir une vision globale sur le très long terme et articuler ses travaux de recherche et d’innovation en fonction de sous-jalons de cet objectif idéal. Cela relève de la structuration de la R&D, une étape essentielle pour conceptualiser ses objectifs.


Enfin, replacer l’humain au centre de cette réflexion est essentiel : quels individus, quels groupes, quelles conditions pour la créativité, la sérendipité d’une part, quels chemins de carrière pour monter en compétences et avoir de bons « trouveurs » ? D’autre part, quelles modalités d’échanges, de connexion entre différentes cultures professionnelles ? Puis quelles méthodes d’évaluation de ses résultats, quels indicateurs de performance ? Autant de questions à anticiper pour favoriser un climat propice à l’invention, l’émulation, la diffusion de l’esprit d’innovation.


3. Une équipe atypique ou une équipe d’atypiques ?


Je vais maintenant aborder un point qui ne mettra peut-être pas tout le monde d’accord, mais c’est aussi une observation que j’ai pu faire lors de mes expériences passées. L’activité intellectuelle de la recherche scientifique est un processus créatif qui peut isoler (combien de fois n’a-t-on pas entendu « il est dans sa bulle » en parlant des chercheurs). Pourtant, dans le même temps, il est aussi indispensable de se confronter aux idées du groupe pour envisager des hypothèses ou des axes de résolutions différents. Cela amène l’idée que proposer ces axes de résolutions différents, demande aussi un comportement non-conformiste, original. D’où l’observation que j’ai pu tirer, au contact de diverses équipes scientifiques : l’agent responsable de la création de connaissances nouvelles (le chercheur) a potentiellement un comportement non-conformiste et doit pourtant s’intégrer à un groupe et coopérer. Si tous les membres de l’équipe partagent ce trait de caractère, à quoi s’attendre du point de vue relationnel ? Comment gérer une telle équipe scientifique ? Peut-on raisonnablement appliquer à une équipe scientifique les mêmes méthodes managériales que dans d’autres départements ?


Enfin, comment équilibrer avec une ouverture sur l’extérieur (open innovation) et les échanges hors-les-murs pour maintenir la motivation de ces assoiffés de connaissances ? Ces questions peuvent sembler naïves mais leurs réponses sont cruciales pour garder les cerveaux si difficilement « chassés »…


4. Gestion d’un ensemble plus large que les seules limites de la R&D


L’ensemble systémique dont on parle serait donc recherche fondamentale/recherche appliquée/développement expérimental/innovation. Gérer ce système dans son ensemble nécessite des liens entre les cultures scientifiques, techniques, industrielles et marché. Actuellement, la plupart de nos organisations cloisonnent ces cultures dans différentes expertises métier (sans parler des cloisons hiérarchiques).


Autre problème : chacun de ces organes du système semble avoir sa propre temporalité, son propre rythme (rythme court terme, rythme long terme). Comment orchestrer cela ? Quel modèle (ou plutôt peut-être quels modèles) de management pour assurer la coopération, la fluidité des échanges et les conditions de succès ?


5. Face à la crise sanitaire


A tous ces éléments, s’ajoutent les défis que le COVID-19 nous oblige à relever : recréer des processus d’organisation immédiatement opérationnels, identifier des postes-clés pour l’activité, les salariés polyvalents, établir une chaîne de décisions qui anticipe le remplacement d’un poste-clé, afin d’assurer à la fois le maintien de l’activité et la santé des salariés. Plus que jamais, l’intérêt de la gestion des connaissances créées par les postes-clés est évident. Le nombre de personnes sur site est limité, et il faut pourtant réussir à maintenir une dynamique tant dans l’organe de R&D que dans les unités voisines. Je pense que le « déconfinement-confiné » apporte son lot de fatigue, due aux nombreuses communications ajoutées par la collaboration à distance et voire même un nouveau type de stress. Dans ce contexte, il me semble impérieux, pour garantir la créativité de l’équipe scientifique, d’imaginer un mode de travail permettant de réduire ces effets, compte tenu des spécificités évoquées plus haut dans ce papier. L’enjeu est de taille car il en va de la survie et de la compétitivité nos sociétés.


Quelques pistes pour y arriver : rester à l’écoute des besoins et des perceptions des membres de l’équipe, pratiquer une communication sincère et empathique, rester positif et encourager et reconnaître les progrès, peu importe leur portée, de chacun.


Enfin, pour l’après, des temps d’échanges sur ce que chacun a vécu, de meilleur, de pire, sur les apprentissages réalisés (en vue d’une période similaire, mais aussi pour améliorer le quotidien) semblent indiqués. Il faut aussi être conscient que les membres de l’équipe auront peut-être apprécié la flexibilité et l’autonomie que cette période leur a conférée et qu’elle sera dorénavant nécessaire à leur équilibre.



A ce stade de ma réflexion, je ne suis pas sûre (mais en bonne chercheuse, je m’autorise des itérations essais-erreurs !) qu’on puisse parler de « gestion », de « management » de la R&D-Innovation, mais plutôt de « coordination » de la R&D-Innovation. C’est aujourd’hui cette tâche de coordination scientifique qui m’occupe d’ailleurs. Qu’en pensez-vous ? Quelles pistes de réflexion pour enrichir ces observations ?

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